70 230 Loulans-Verchamp
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Histoire d'ondes
Il y a quelques semaines, nous avons reçu au village une journaliste envoyée par l'Agence de l'eau. Elle nous a écrit ce petit récit sur la Linotte et les travaux "à sa façon" :
Au pays de la cancoillotte, il était une fois la Linotte...
" - Je suis la Linotte, née il y a plusieurs millions d’années pas loin du village de Vallerois-le-Bois. Je ne suis ni très athlétique, ni très volontaire. Une contemplative, plutôt, en écho à la quiétude de mes voisins, les grands plateaux de la Haute-Saône. Une authentique, assurément, qui goûte peu le bruit et l’agitation. Depuis des siècles, je me soumets sans résistance excessive à la main de l’homme. J’observe les évolutions du temps. À Loulans-Verchamp, où je rejoins la Quenoche - d’un naturel timide elle aussi - avant d’aller me jeter dans l’Ognon, j’ai eu mille vies. Ce petit bourg de 500 âmes marque le terminus du Chemin vert, aménagé pour les amoureux de la Petite Reine sur l’ancienne voie ferrée reliant Besançon à Vesoul. Il se dit aussi la capitale de la cancoillotte, cette spécialité fromagère vieille de plusieurs siècles, chantée par Hubert-Félix Thiéfaine. Fruit de l’assemblage d’un fromage de lait écrémé, le metton, d’un peu de beurre et d’eau, elle est entrée au Panthéon des Indications Géographiques Protégées tout récemment, conférant aux hommes d’ici un immense sentiment de fierté. À Loulans-Verchamp, elle se fabrique sous mon nez à la Fromagerie Marcillat. Et ce depuis 1893, ou peut-être 1894, lorsque la fabrication de metton a remplacé celle du fer et de la fonte.
Quand la force de l'eau permettait de fabriquer des canons
Car Loulans-Verchamp se nommait autrefois Loulans-les-Forges et figurait au firmament de l’histoire industrielle de la région. Dans la seconde moitié du 18e siècle, les seigneurs de Loulans, la famille Montmartin, y possédaient un établissement métallurgique composé d’un fourneau et d’une forge. À l’époque, nous étions modestes : 122 tonnes de fer sortaient chaque année de l’usine puis les choses se sont accélérées jusqu’à dépasser les 200 000 tonnes en 1788. Au 19e siècle, nous fabriquions surtout des poêles, des cuisinières, des appareils de chauffage pour les églises, et aussi quelques boulets de canon en temps de guerre. Le haut fourneau a toutefois fini par s’éteindre pour laisser place à une activité laitière plus douce, bien qu’intensive. Personnellement, comme le raconte aujourd’hui le maire de Loulans-Verchamp, Guillaume Blondel, j’ai pas mal souffert : « Pour capter l’énergie hydraulique dont elles avaient besoin, les forges puis les fromageries successives ont modifié le lit de la Linotte. Et avant le raccordement de la fabrique de cancoillotte au réseau d’assainissement du village, elle subissait une importante pollution. Les trois barrages construits sur son lit à l’usage des usines et du château - qui a appartenu au maître de forges jusqu’en 1898 - n’étaient plus entretenus et généraient d’importantes inondations dans le cœur de bourg. Par endroit, cette rivière chenalisée coulait au moins deux mètres en dessous de la berge, avec des impacts considérables sur la faune et la flore, une zone humide progressivement détruite et un paysage fortement dégradé, alors que nous souhaitons rester l’agréable site touristique, apprécié des pêcheurs et des amoureux de la nature, grâce à notre proximité avec les rives de l’Ognon ». Personnellement, j’ajouterais que la journée du 11 septembre 2014 a agi comme un électrochoc sur les habitants. Alors qu’un violent orage s’abat sur toute la région, je ne contrôle plus mon débit. En un rien de temps, le village est submergé. Incapables de passer le carrefour central, sous l’eau, les automobilistes font demi-tour. Comme eux, j’ai tremblé, mais ne fallait-il pas marquer la fin d’une époque et m’autoriser à renouer avec le cours naturel de mon existence ?"
Dans les méandres de la rivière, la nature revit
Entendue, cette supplique de la Linotte a donné lieu à plusieurs années de réflexion et de travaux. Sur 1,5 kilomètre, de larges méandres ont été redessinés pour ralentir l’écoulement de son eau et rétablir ses capacités d’auto-épuration. Les berges ont été talutées en pente douce et végétalisées afin de garantir la continuité de la ripisylve, ainsi que la connexion avec les zones humides, réservoirs de biodiversité et soutien d’étiage de la rivière, tandis que les lits abandonnés et les drains forestiers ont été comblés à l’aide des matériaux excavés des nouveaux tracés de la Quenoche et de la Linotte. « Autrefois inondé deux à trois fois l’an, notre château de Loulans-Verchamp, à la confluence des deux rivières, est le premier bénéficiaire de ces aménagements, témoigne Pascal Chatelain, un natif des Aynans, non loin de là, employé à la fromagerie dès son plus jeune âge et devenu conseiller municipal à la retraite. Il a désormais les pieds au sec et peut développer son activité de séminaires et d’organisation de mariages dans les meilleures conditions. Bien sûr, les gens se sont posé des questions sur l’ampleur des travaux. Mais mêmes les irréductibles ont fini par s’incliner. En 2021, nous avons connu des crues tardives dans tout le département. Loulans n’ayant pas été inondé, le bien-fondé des investissements a été démontré. Nos deux rivières sont les actrices principales du village, c’est un soulagement de les voir revivre. Nous n’avions plus de poissons en aval du château, or aujourd’hui, le pêcheur que je suis depuis l’enfance constate que les brochets et les truites sont de retour. N’est-ce pas plus rassurant que ces carpes de 30 kilos qui venaient goûter une eau presque aussi chaude que celle d’un étang ? ».
Naturaliste à ses heures et contemplatif par nature, Henry Bole vient souvent se promener en bord de Linotte. Ses pas le conduisent presque toujours vers le château de Loulans-Verchamp où il fut, trente-cinq ans durant, un chef de cuisine attentionné alors que l’établissement officiait comme maison de repos. « J’avais la nostalgie de ce que j’avais connu, dit-il. Une eau haute, les barrages, mais plus je me balade, plus j’aime cette nature retrouvée. Dans une dizaine d’années tout au plus, la rivière aura vraiment choisi son chemin, les arbres auront poussé, la roselière se sera étendue, les grenouilles chanteront à nouveau, les hirondelles se nourriront d’insectes de belles tailles. Ce matin, j’ai aperçu un couple de Harle Bièvre, ces canards amateurs de poissons. Même s’ils peuvent poser des problèmes de prédation, c’est quand même un signe encourageant ». Dans une dizaine d’années, Maxime Chouffe, l’actuel propriétaire du château, aura réussi le pari de développer, sur ses terres, une activité de tourisme vert et d’hébergement atypique dans des bulles ouvertes sur les étoiles. Et Loulans-Verchamp, chaque mois de juillet, continuera à célébrer l’IGP attribuée à son fromage, lors de la grande Fête de la cancoillotte !
Quelques données chiffrées :
• 550 000 € : le montant investi pour restaurer les 2 rivières, dont 200 000 € financés par l'agence de l'eau et 280 000 € par SNCF Réseau dans le cadre des mesures compensatoires de la LGV Rhin Rhône.
• 3 ans : la période de suivi après travaux pour évaluer les effets sur la biodiversité et l'hydromorphologie.
• 11 septembre 2014 : dernière grande inondation à Loulans-Verchamp.
Vous pouvez retrouver cet article directement sur le site de l'Agence de l'eau avec de jolies illustrations : Histoires d'ondes, racontées par l'Agence de l'eau